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Art, Good Food & Books #86

Apparitions simples 



D’une soupe d’orties surgissent deux corolles rouges. De l’univers sans temporalité de Tim Eitel, une femme nous offre son dos rouge.


Chacune des ces apparitions simples et contrastées est une ode au goût de la cuisine et de la peinture.


Pour Emilie Carles, la Soupe aux herbes est celle d’une existence.


Et toujours, vos recettes pour que nous leurs trouvions une oeuvre et un texte !


Amitiés


Corinne Cossé-le Grand

Instagram: @carrousel_art


Soupe aux orties

« Souvenir d’adolescence et de ma mère, déjà adepte de nature et de diététique, qui les cueillait en bordure des champs et des petits chemins menant à la mer. 

C’est aussi une recette du confinement pendant lequel la cuisine s’est imposée comme occupation et plaisir, associée à la promenade le long des sentiers proches. Les orties abondaient sur les talus et je me suis rappelé la finesse et la très légère amertume de leur goût ». Marylène Conan


Ingrédients

- Environ 600 g  de belles orties fraîches, cueillies dans un endroit évidemment abrité des émanations des gaz d’échappement, de produits chimiques ou de déjections animales.

- 3 pommes de terre moyennes. 

- Quelques fanes de navet, quelques feuilles de salades. 

- 2 oignons.

- 30 cl environ de crème fraîche. 

- De l’eau. Du sel et du poivre. Autres épices selon votre goût. 

Recette

On ne garde que les feuilles que l’on lave et essuie (en prenant soin de ne pas se piquer). 

On émince l’oignon avant de le faire revenir dans un peu de beurre dans une assez grande cocotte. 

On ajoute alors les feuilles d’orties et les pommes de terre coupées en petits morceaux. 

On recouvre le tout d’eau et on laisse cuire environ 20 mn. On sale et poivre comme on aime. Rien n’interdit d’ajouter d’autres épices, pas trop pour ne pas altérer le goût délicat des orties.

On mixe et ajoute la crème fraîche. 

Quelques fleurs de bourrache déposées sur ce potage lui apporteront une touche de couleur, on peut aussi utiliser des primevères, des capucines, des soucis, des pensées



Tim Eitel, Untitled, 2002, Acrylic on canvas., 11 3/4 x 11 3/4 in. (29.8 x 29.8 cm).


Né en 1971 à Leonberg, AllemagneVit et travaille entre Berlin et Paris

Tim Eitel emploie la peinture pour créer des analogies avec la réalité, en construisant des mondes parallèles fictifs à partir de situations qui ont été vues et vécues. Ses peintures sont basées sur des rencontres, des objets photographiés ou des espaces qui existent réellement. Les peintures d’Eitel ne racontent pas d’histoires, mais présentent un moment sans début ni fin, défini à la fois par une constellation de figures dans l’espace, le déclin de la lumière sur les architectures et les relations des couleurs entre elles. Les œuvres de Tim Eitel sont une recherche profonde de la perception de l’espace, de la lumière et de la temporalité, testant les possibilités de la peinture pour représenter ces éléments.

Il a étudié à l’École Supérieure des Beaux-Arts de Leipizg (Hochschule für Grafik und Buchkunst) de 1997 à 2001 et a été un étudiant en maîtrise (Meisterschüler) du professeur Arno Rink de 2001 à 2003. Il a reçu plusieurs prix prestigieux tout au long de sa carrière, y compris Landesgraduiertenstipendium, Saxe, Allemagne (2002) et le Marion Ermer Preis (2003). Cofondateur du collectif Galerie LIGA à Berlin, il a été l’un des principaux protagonistes de la nouvelle école de Leipzig avant de se faire connaître comme l’un des peintres les plus importants de sa génération.

Les travaux d’Eitel sont conservés dans de nombreuses collections importantes, notamment l’Albertina de Vienne; Musée d’art moderne ARKEN, Ishøj, Danemark; Deutsche Bank Collection, Allemagne; Hamburger Bahnhof, musée für Gegenwart, Berlin; Musée Frieder Burda, Baden-Baden; et la collection de la famille Rubell, Miami. Depuis 2015, il dirige un atelier de peinture aux Beaux-Arts de Paris.



Emilie Carles est née avec le siècle (le précédent) dans une famille modeste des Hautes Alpes. Le père élève, comme il le peut, ses six enfants dont la dernière avait quatre mois lorsque sa femme est morte, foudroyée en pleine moisson, et assure le travail de la ferme. Emilie, qui avait tout juste quatre ans, comprendra très vite déjà qu’elle devra être le socle de la famille.    

Elle  travaille aux champs, tient la maison et cuisine car il faut nourrir ses frères et sœurs, mais la soupe aux herbes sauvages dont la recette ouvre son livre de souvenirs ne deviendra un plaisir que bien après, quand la vie lui offrira un peu de temps. 


« Un peu plus tard lorsque je descends pour faire une promenade, j’en profite pour cueillir des herbes qui me serviront à faire ma soupe aux herbes sauvages. Je n’ai pas besoin d’aller très loin, je contourne le Vivier et je marche dans les prés qui bordent la Clarée. Il suffit de se baisser, ça c’est du plantain et voilà de l’oseille sauvage, de la drouille, du pissenlit, de l’ortie ou barbe à bouc, de la doucette, un petit chardon des champs ou chonzio, une plante laiteuse, le laichuron, du mille-feuilles, de la tétragone ou épinard sauvage. A cela j’ajoute une pointe d’ail, quelques pommes de terre et j’obtiens une soupe onctueuse et délicieuse. Pour la réussir il faut très peu d’herbes de chaque sorte afin qu’aucune ne l’emporte sur les autres sinon la soupe risque d’être ou trop amère ou trop acide ou trop fade. 

Voici donc notre soupe dans son sens propre. Au figuré, j’ai tant de choses variées à raconter, drôles ou dramatiques, truculentes ou sauvages que de tous ces pays de la montagne briançonnaise où je suis née et où j’ai vécu, nous aurons, du début à la fin, une soupe aux herbes sauvages.  

«  Les conditions de vie des paysans étaient très difficiles, à cause de l’altitude, à cause du climat. Pendant six mois ou presque, le froid et la neige paralysent tout, la neige isole, elle isolait. A l’époque il n’y avait ni chasse-neige ni voiture, seulement des chevaux ou des mulets avec des traîneaux et pendant l’hiver, nous étions coupés du reste du monde. Dès l’âge de six ans les enfants étaient obligés de participer à cette économie primitive, ils n’avaient pas le choix, ils devaient garder les bêtes, aller aux champs et accomplir les corvées ménagères. C’était la loi, durs au travail, âpres au gain, comme si à chaque instant, le ciel allait leur tomber sur la tête, les paysans vivaient d’un bout de l’année à l’autre accrochés à leur terre. Cette vie difficile, outre l’endurance et la ténacité, développait chez eux des qualités plus contestables comme l’égoïsme, la méfiance et la suspicion. L’Eglise et le patriarcat les tenaient sous leur emprise. »  

Les gens avaient une méfiance maladive de l’école, c’est elle qui leur prenait la main-d’œuvre alors pour se justifier ils disaient qu’on y apprenait des bêtises et qu’on y perdait son temps »


 Emilie y va cependant, puisque c’est obligatoire, puis, aidée par son institutrice, elle poursuivra ses études, une chance qui lui permettra de revenir au pays, en tant qu’enseignante, afin d’ouvrir les esprits, de les sortir de l’obscurantisme et des superstitions, de tenter de les faire accéder à un peu plus de liberté.  Parallèlement à son travail, elle continuera à assurer une partie des travaux de la ferme car son père vieillissant ne peut plus tout faire. Une vie de labeur, donc, mais avec l’instruction qui lui offre une rare liberté de penser et de décider à une époque où (plus encore dans ces milieux) les femmes et les hommes sont soumis aux traditions, aux croyances, à la cruauté d’une morale qui n’accepte aucune différence, aucune originalité et condamne sans appel tout « accident de parcours » chez les jeunes filles en en faisant des parias.  Cela, elle le refuse.  C’est grâce à son rôle et à sa fonction d’institutrice dans ces villages isolés qu’elle pourra faire évoluer les mentalités.  

 A la retraite, elle ne cesse d’admirer « le plus beau pays du monde » de respirer les gouttes de pluie pailletées de lumière comme de jouir des multiples humeurs de sa rivière douce et tumultueuse, mais elle se souvient que dans sa jeunesse, à la montagne, l’aspiration au bonheur et à l’épanouissement n’existe pas encore. Il faut déjà échapper à la misère, à la violence, à l’ignorance. Ainsi la mort d’un enfant (qu’on ne soigne pas) a moins d’importance que celles des animaux. Pas de soin, pas d’attention et bien peu ou pas d’émotion. Alors bienheureuses  les femmes dont les maris ne sont pas brutaux. Parmi les nombreuses figures évoquées, l’une d’elles se cache pour offrir un trésor à ses enfants en les priant de manger très vite de peur que le père ne survienne : une tartine beurrée. « Ils dévoraient cette manne sans comprendre quel danger les pressait ». 

 Ainsi allait le quotidien des pauvres gens sur cette terre âpre et rude, le dénuement matériel et culturel engendre rarement compréhension et bonté. Cependant, au fil de ses nominations, Emilie trouvera des femmes et des hommes de ces conditions, pleins d’intelligence et de finesse, qui lui tendront la main et l’aideront par leurs actes et leur amitié à améliorer la vie autour d’elle.

 Malgré une grande lucidité sur l’humanité elle ne cessera jamais de croire que la connaissance et l’éducation doivent rendre meilleur.  


Marylène Conanmariconan29@gmail.comInstagram:@conanconan2935

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