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ART, GOOD FOOD & BOOKS #56

1 mai 2023 Soulèvement de moules pour une dégustation piquante.

Dans l’ouvrage de Birgit Vanderbeke, Le dîner de moules que nous présente Marylène, une femme reporte le rejet de son mari tyrannique dans son dégoût pour les moules. Les artistes ont aussi cette qualité de transformer des objets en formes politiques pour échapper aux carcans. Citons Marcel Broothaers qui a conçu en 1964 Casserole and mussels, une sorte de soulèvement révolutionnaire. Mais commençons par Martine qui titille le mollusque bivalve avec du chorizo. Corinne Cossé-le Grand

Carrousel Art

cossecorinnelegrand@gmail.com


Moules au chorizo proposées par Martine de la Gatinais.


Ingrédients pour 4 personnes

- 2,8 kg de moules (700 gr/personne )

- 6 échalotes

- 1 chorizo fort

- 40 cl de crème fraîche


Recette

Emincer les échalotes

Coupez le chorizo en rondelles coupées en 4

Faire revenir les échalotes dans du beurre, quand elles sont translucides y ajouter le chorizo et remuer quelques minutes jusqu’à obtention d’une coloration rouge puis y ajouter les moules et la crème

Laisser cuire à feu moyen en couvrant et remuer régulièrement jusqu’à ouverture complète des moules et en fin de cuisson y ajouter du persil Servir dans une assiette creuse et recouvrir de jus.




Marcel Broodthaers (1924-1976), Casserole and Mussels, 1964/ Coquilles de moules H.30,5; L.27,9; Pr. 24,8 cm, Londres, Tate Gallery Prénommé Marcel comme Duchamp, qui a révolutionné l'art du XXe siècle, Broodthaerts apparaît à bien des égards comme le Duchamp belge. Poète avant tout, facétieux touche à tout, jongleur de mots et brouilleur de pistes, il renouvelle radicalement la vision de l'art en Belgique dans les années 60 et 70. Il a notamment créé cette fameuse "Casserole de moules", aujourd'hui internationalement reconnue. Cette casserole de coquilles de moules est à la fois familière et étrange.La moule est symbole gastro-nomique belge. Nous préparons des moules dans une marmite. Mais ici, une bande de coquilles de moules en soulève le couvercle dans un effort commun, comme si elles ne supportaient plus leur corset de fer, carcan de la société des années 60. Elles sont également ouvertes. Le mot « moule » ne désigne pas seulement le coquillage, mais également la matrice. Broodthaers joue avec la signification de la limite, le fait d’être « enfermé », comme la pensée. Cette casserole de moules devient une œuvre d’art parce qu’elle est présentée sous la forme d’une œuvre d’art : elle se trouve dans un musée, sur un socle, protégée par du plexiglas, avec un titre. Ensemble, ces conditions constituent le moule qui dicte notre vision de cet objet.




Le dîner de moules de Birgit Vanderbeke, Stock. 1995. Traduit de l’allemand.

Née en Allemagne de l’Est, Birgit Vanderbeke vit à l’Ouest dès ses six ans avec ses parents et s’installe, adulte, en France jusqu’à sa mort en 2021. On trouve peu de renseignements sur cette auteure allemande, sinon ce passage d’Est en Ouest, avant la France.

Dans cet extrait une mère et ses deux enfants sont réunis autour du plat préféré du père et mari, qui revient d’un congrès scientifique.

« Dans les vraies familles, comme mon père rêvait d’en avoir une, les pères sont fiers de leurs fils et mon frère aurait dû se donner un peu plus de mal, je peux quand même ce que je veux, disait-il toujours, il faut dire que ce n’était pas facile d’impressionner notre père, parce qu’il était très bon dans tout ce qu’il faisait, et que tout ce qu’il ne savait pas faire n’avait pas d’importance, mon père était bon en sport et en biologie, les disciplines littéraires et artistiques, qui auraient éventuellement pu attirer mon frère, n’avaient pas d’importance, voir son seul fils devenir mollasson aurait été très douloureux pour mon père, il lui serrait le cœur et il lui pourrissait la vie avec son côté rêveur.

A ce moment-là tous les trois, nous avons été très embarrassés, tout à coup nous nous sommes sentis très maladroits et complètement perdus parce que nous ne savions pas quoi faire, ma mère s’est levée de table(…)

Je ne peux plus voir ces machins répugnants, a-t-elle dit brusquement, au lieu de dire comme d’habitude qu’elle n’en raffolait pas tant que ça, et il faut dire qu’elles étaient vraiment dégoûtantes, les moules, quand elles viennent d’être cuites, elles brillent, mais là elles se sont desséchées et ratatinées lentement, j’ai eu aussi l’impression qu’elles devenaient plus sombres, le jaune faisait vraiment déplaisant avec la bordure verte tout autour et les coquilles grandes ouvertes, ça me donne des renvois de bile, a dit ma mère, et j’ai immédiatement compris ce qu’elle voulait dire même si je ne savais pas exactement ce qu’est un renvoi de bile, mais ma mère, elle, savait ce que c’était, elle avait tout le temps des problèmes avec sa bile, et tous les trois nous avons fixé les moules d’un air mauvais jusqu’à ce que ma mère apporte le vin qui était dans le réfrigérateur pour fêter ce jour-là. »

Les moules, c’est le plat basique et populaire que tout le monde aime déguster dans un bistrot ou une guinguette en bord de mer. Mais ici elles se délitent et se dessèchent peu à peu, tout comme cette famille, qui, d’emblée, n’apparaît pas être la « vraie famille », dont rêve le père. Le fils est « un mollasson » qui se laisse aller à des penchants littéraires et artistiques, la mère, à force d’attendre devant les moules et de tenter de se conformer au modèle imposé, a des renvois de bile. Et tout le récit va se jouer là, une absence de plus en plus pesante, une attente oppressante qui ne finira qu’à la dernière page jusqu’à laquelle il n’est question que du père. La narratrice nous donne à entendre et à voir les relations familiales à travers ces moules qui, plus le récit avance, plus symbolisent les goûts et l’autorité de celui auquel chacun est subordonné.

Aucun espace de liberté en dehors des critères imposés, d’ailleurs le style particulier avec ses longues phrases accumulant souvenirs, impressions et craintes, le « flux de conscience », hérité de Joyce, dit le ressassement obsessionnel et apeuré. Rien d’autre à penser ni à vivre. Personne n’aime les moules dans cette famille, excepté lui.

Un seul décor dans lequel trois personnages attendent autour de ce plat qui va refroidir et se décomposer sous leurs yeux, nos yeux. La mère, le fils, la fille (narratrice) vont, à travers leurs divagations, leurs malaises, leurs déséquilibres évoquer les relations tyranniques instaurées par un homme pervers et narcissique. La « vraie famille », n’est qu’une espèce de construction délirante exprimant une volonté de dominer, un idéal composé d’une série d’images élaborées dans la négation et la destruction de chaque caractéristique des autres. Un cercle vicieux enferme alors chacun dans un comportement sans issue. Quelques efforts qu’ils fassent pour tenter de se conformer à la volonté d’un esprit malade, la mère et les enfants seront humiliés, punis, détruits. Le texte progresse avec des exemples de plus en plus lourds et douloureux, sans jugement aucun car toute velléité de la sorte a été écrasée depuis longtemps. On voit là un processus de conditionnement dont les traces se borneront à des exemples de somatisation comme la bile, l’alcoolisme, la dépression.

Il serait difficile d’écarter toute lecture politique de ce récit qui semble décrire l’élaboration d’une autorité dictatoriale, la même qu’à l’échelle de tout un pays. Un texte puissant comme la mise en place progressive d’un régime qui tue la moindre tentative d’individualité.

Dommage pour les moules dont le côté festif, léger, conviviale et agréable réjouit et ne rassasie jamais.


Marylène Conan

mariconan29@gmail.com Instagram:@conanconan2935


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