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Art, Good Food & Books #48

Mille feuilles d’harmonie

Qu’elles soient de pommes de terre ou d’acier, les feuilles qui composent un gratin ou le toit de la Philharmonie imaginé par Jean Nouvel portent un désir d’harmonie. Corentine trouvera ce moment, pourtant si court et en des temps si durs, dans l’écoulement du lait glacé sur le flanc d’une patate brûlante. Entre l’agencement des formes et leur observation, des éclats d’harmonie. 10 décembre 2021

Instagram: @carrousel_art info@carrousel-art.com Corinne Cossé-le Grand

...et bientôt un nouveau site pour 2022 !



Gratin dauphinois - Recette de Stephane Lagorce, publiée dans la revue 180°C


Ingrédients pour 6 personnes

Ingrédients autorisés 1,5 kg de pommes de terre (Agata, Marabel, Mona Lisa. Vitelotte noire aussi, mais attention écartèlement possible) 1 l de lait entier (de vache, selon la LFDGDI) 30 cl de crème fraîche Pas mal de beurre (entre 100 g et 10 kg) 1 gousse d’ail Noix de muscade (fraîchement moulue) Sel et poivre blanc (noir toléré par certains experts)

Ingrédients acceptés Crème liquide Beurre demi-sel

Ingrédients tolérés Champignons (sauvages et en saison seulement) Lardons (sur dérogation des préfets concernés)

1 Conformité ? Préchauffez le four à 180 °C, comme toujours. Épluchez les pommes de terre, rincez-les vaguement puis coupez-les en tranches de 3/4 mm, plus ou moins. Si jamais vous lavez les tranches de pommes de terre à l’eau en les lessivant de leur précieux amidon, vous serez brûlé vif en place publique pour sorcellerie.


2 Authenticité ? Épluchez la gousse d’ail et passez-la dans le plat selon votre dogme. Pas la peine de frotter l’extérieur du plat, c’est totalement absurde. Dans une casserole, faites chauffer le lait avec un peu de muscade, du sel et du poivre (et la gousse d’ail, donc, si vous refusez le frottage du plat par certitude intime). Quand le lait frémit, passez à feu très doux et ajoutez les pommes de terre. Mélangez, couvrez et laissez cuire une dizaine de minutes.


3 Légitimité ? Beurrez le plat (oui ou non selon les loges) puis versez pommes de terre et lait dedans. Répartissez la crème et pas mal de beurre par-dessus (en noisettes ou noix de coco, comme vous aimez). Enfournez entre 40 et 50 minutes. Laissez refroidir quelques minutes avant de sacrifier le gratin.

La variante du chef, celle qui ne sert jamais à rien Ajoutez une bonne poignée de paprika et quelques sardines pilées à l’huile pour plus de moelleux.


Philarmonie de Paris par Jean Nouvel, 2007-2015

« Dans le mot « philharmonie », on peut déjà facilement imaginer l’amour de l’harmonie. Nous jouons d’harmonies successives, d’harmonies urbaines. La Philharmonie existe comme un événement prestigieux qui entretient des relations harmonieuses avec le Parc de La Villette, la Cité de la musique et le boulevard périphérique. »


Roselyne Bachelot. Corentine. Pocket. 2019

« Pour le moment Marie- Louise a renoncé à partir se placer. Les tétées données au dernier-né sont trop rapprochées et, dans l’état d’épuisement qui est le sien, elle ne se voit pas emprunter les sentiers boueux qui mènent aux fermes environnantes. Elle sait que l’économie familiale ne peut se passer longtemps des quelques dizaines de centimes rapportées par ses places, d’autant que Jean rêve d’acheter une jument et de bénéficier ainsi des aides du gouvernement qui promeut l’élevage chevalin, mais elle met à profit cette pause bien relative pour éduquer ses trois filles aux indispensables travaux de subsistance qui feront tourner la ferme, leur permettront de se placer à leur tour et, plus tard, de se marier. Baratter le beurre, bien garder le petit lait qui en résulte-le lait ribot-, faire du lait caillé, cuire le pain, ramasser les pommes de terre et veiller à soigneusement les conserver, cueillir les pommes et faire le cidre qu’on doit pouvoir offrir à celui qui poussera la porte. Dans les plats servis, il n’y a guère de variante puisque la soupe est de rigueur le matin et, au repas du soir, se voit suivie de bouillie d’avoine ou de pommes de terre cuites à l’eau servies seules à midi. L’unique variante est d’être accompagnées de beurre, s’il y en a, et de lait. Ce dont raffole Corentine, c’est de mettre dans son écuelle du lait bien frais, de poser dans sa cuillère un morceau de pomme de terre brûlante trempé ensuite dans du lait ; le contraste lui paraît comme le summum des plaisirs qu’on peut rencontrer sur cette terre. Parfois aussi, le repas est réduit au strict minimum : un morceau de pain noir sur lequel on a passé une très fine couche de beurre.

Chaque jour la faim accompagnait la vie des gens dans ce coin de Bretagne. Son grand-père maternel lui avait raconté l’épouvantable famine dont il avait souffert quand, en 1845, les pommes de terre s’étaient couvertes des taches noires du mildiou… Sa grand-mère avait dû mendier. »

Corentine est la grand-mère de Roselyne Bachelot (qu’on ne présente pas) à laquelle elle rend hommage dans ce récit. Volonté, courage et intelligence, plus un cadeau des fées ou du hasard, il n’y a pas de fées dans ce pays-là, la beauté. Voilà ce qui caractérise la toute petite fille née dans une famille paysanne au début du XXème siècle, dans un coin perdu de Bretagne. Une famille pauvre, très pauvre, la faim est leur quotidien. La mère, Marie-Louise, journalière comme son mari, usée ou plutôt détruite par les maternités répétées et le travail pénible qui permet juste de subsister, élève comme elle peut ses enfants, puis les place dans les fermes voisines. Outre des conditions matérielles qu’on n’imagine même plus, tous subissent la pression de cette société figée dont les traditions rendent la vie encore plus dure aux miséreux. La campagne ne fait pas rêver, elle est sale, boueuse, hostile, froide. Nul instant à soi entre les journées harassantes et l’abrutissement des nuits. Et même si l’école est obligatoire, personne ne se soucie de ces enfants qui vivent au fin fond de la campagne, d’ailleurs les chemins pleins d’eau et d’ornières sont impraticables pour de petits pieds de six ou sept ans qui ne connaissent pas les souliers. C’est là et comme ça que vit Corentine avec, pour seule éducation, le travail qu’elle doit accomplir quotidiennement pour seconder sa mère à bout de forces. Pourtant, il y a un plaisir dont elle ne se rassasiera jamais et qu’elle fera partager plus tard à sa petite-fille : les pommes de terre et le lait.

« Combien de fois en ai-je mangé avec elle ! Quand elle voulait me régaler, c’était le délice qu’elle me proposait et le choc entre la patate brûlante et le lait glacé était un plaisir absolu» se rappelle l’auteur.

Corentine sera placée à sept ans chez des fermiers plutôt bienveillants. Aussi belle qu’intelligente, elle ne se laissera pas briser par la dureté de la vie et suivra une cousine à Paris pour accomplir son rêve, devenir bonne chez des riches. Sa force, elle l’a puisée dans la misère et la faim. Les belles manières et l’élégance, elle les apprendra après le français, qu’elle ne parle évidemment pas. Pas d’autre école que celle de la vie. Il lui faudra observer, comprendre, copier, et elle n’aura aucun mal à s’habituer au raffinement des draps propres et à la belle vaisselle. Elle, la petite bonne illettrée réussira, affrontera encore des drames, mais reviendra, dans sa région d’enfance, fière et toujours belle, acheter un commerce qu’elle fera fructifier. A ses filles elle offrira le plus beau cadeau : l’éducation et les études. C’est ainsi que sa petite-fille siègera un jour à un bureau de ministre. Conte de fée ? Si celle-ci a pour nom volonté, oui.

Marylène Conan mariconan29f@gmail.com Instagram: @conanconan2935


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